La prise en charge d’une douleur aigüe a toujours été d’une importance capitale dans le secteur médical pour plusieurs raisons :
- Apaiser la douleur est depuis toujours un des motifs de consultation médicale les plus fréquents et peut-être l’essence même du métier
- il est logique de penser que la prise en charge immédiate d’une blessure a un impact sur son évolution à plus long terme.
Depuis les années 80, le Dr Mirkin propose un protocole de prise en charge des lésions en situation aigue qui se résume dans l’acronyme RICE.
Cet acronyme recommande le traitement d’une lésion aigüe selon :
- R = rest / repos. La zone lésée doit être mécaniquement épargnée, c’est à ce moment que le sportif quitte le terrain ou que le travailleur termine sa journée de travail.
- I = ice/glace. On applique de la glace sur la zone avec un double objectif. Il aura pour objectif de calmer la douleur et de limiter le gonflement
- C = compression. Un pansement compressif aura également pour objectif de limiter un gonflement.
- E = elevation. Le membre en lésion est surélevé afin de favoriser le retour veineux et donc à nouveau de ne pas favoriser un éventuel épanchement.
Depuis plus de 40 ans, cette méthode a été largement éprouvée sur les terrains sportifs auprès de nombreux athlètes avec différents types de blessure. Et bien qu’il réponde à une logique certaine, la littérature scientifique ne fait pas l’unanimité quant à l’efficacité de ce protocole.
Au cours des années, ce protocole a évolué assez timidement et a été adapté à mesure que la recherche scientifique nous a apporté de nouvelles informations. C’est une excellente chose, il est important de remettre notre pratique en question afin de continuer à progresser.
Et soudain, en 2019, le très réputé British Journal of Sport Medecin publie un article selon lequel l’acronyme de prise en charge des lésions aigues est complètement revu et adapté à la lumière de récentes avancées scientifiques. PEACE & LOVE sera désormais le nouvel acronyme de prise en charge des lésions aigües. Cet article est accueilli comme un bouleversement dans nos méthodes de prise en charge et l’acronyme est partagé en masse sur les réseaux sociaux. Alors… Réel bouleversement dans la prise en charge de nos patient ou joli coup de com ? Qu’en est-il exactement ?
Analyse de cette “révolution”.
Si on s’arrête un instant sur chaque item, qu’en ressort-il de nouveaux et d’intéressant ?
Les aspects “PROTECTION” et “ÉLEVATION” correspondent à Rest et Élévation que l’on retrouve dans le protocole RICE. Des éléments essentiels du protocole RICE sont repris sans surprise.
L’aspect “ANTI-INFLAMMATOIRE A EVITER”. C’est un fait bien connu depuis plus de 20 ans déjà. Par ailleurs, dans la grande majorité des cas (sport amateur), c’est un kiné qui sera au bord du terrain et son rôle n’est pas l’administration de médicaments. Cette petite piqure de rappel n’est pas une mauvaise chose malgré tout.
La “COMPRESSION” figure dans le protocole RICE, là non plus, rien de nouveau, mais plutôt un aspect essentiel qui a été conservé.
L’aspect “EDUCATION”. C’est un aspect auquel j’attribue énormément de valeur. Le patient doit comprendre ce qui lui arrive, pourquoi et dans quelle mesure sa lésion va évoluer vers la guérison. Sans compréhension de la situation, il ne peut être acteur de sa guérison.
Mais on parle bien de prise en charge aigue… Ma longue expérience au bord des terrains de sport me suggère plutôt de foutre la paix au sportif dans l’immédiat. il faut le laisser “digérer” la lésion et seulement plus tard discuter des options de traitement et de l’évolution future.
LOAD. Encore une fois, on cherche à soulager le patient en adaptant la charge, mais on souhaite également maintenir un minimum la fonction articulaire ou musculaire. Le repos n’est pas donc total, il n’y a pas d’immobilisation stricte. Les immobilisations strictes ne sont plus vraiment d’application sauf en cas de lésion très grave. Beaucoup de bon sens, mais rien de bien nouveau dans cet aspect LOAD.
OPTIMISME. Bien sûr je pense que c’est une bonne chose, notre état moral influence notre état physique. Mais comme pour l’aspect “éducation”, on parle d’une situation aigue.
On devra donc rassurer le blessé, mais après avoir réalisé les gestes essentiels, après avoir diminué la douleur et lorsqu’il aura moralement un peu digéré la situation.
VASCULARISATION. A nouveau, cet aspect concerne une prise en charge un rien différée. L’auteur parle de 2X20 min d’activité. Il faut que le blessé en soit capable. Ce ne sera donc pas adapté à tout le monde et forcément, on ne se trouve plus vraiment dans une prise en charge aigüe de la lésion.
EXERCICES. La rééducation, la réathlétisation ne se font pas en période aigüe encore une fois.
MAIS OU EST PASSEE LA GLACE ? Elle a tout simplement été supprimée du protocole. En 2014, le Dr Mirkin, auteur du protocole initial a lui-même remis en question l’efficacité de la glace. Il lui attribue un effet délétère en cas d’application prolongée… Par contre, son aspect anti douleur n’est pas remis en question. L’application de froid mérite t-elle d’être supprimée de toute prise en charge aigüe ? Je ne le crois pas… Pour peu que les modalités d’application soit respectées, à savoir une durée comprise entre 10 et 15 min avec un tissus empêchant le contact direct entre la glace et la peau, l’usage du froid reste intéressant.
Quoi qu’il en soit, Dubois a choisi de ne pas intégrer cette étape dans le protocole PEACE&LOVE. Ce qui est surprenant, c’est qu’il précise en dessous de l’article publié sur son blog que l’application de glace pendant les premières 24h n’est pas une mauvaise chose !
Que penser de ce protocole ?
Ce nouveau protocole ne semble pas apporter énormément de nouveauté dans le cadre d’une prise en charge aigue. Néanmoins plusieurs choses intéressantes sont à souligner :
- L’audace de Dubois qui s’attaque à un protocole établi et utilisé depuis des années par de nombreux thérapeutes. Il a le courage de faire bouger les choses et tente de les faire évoluer, et pour ça, on ne peut qu’applaudir des 2 mains.
- La validité scientifique du protocole est assez pauvre. Néanmoins Dubois, son auteur en est bien conscient et n’hésite pas à le mentionner sur son blog. Ce n’est pas tout le jours qu’on rencontre un praticien avec une telle humilité. Ca méritait largement d’être souligné.
Et les bruits de couloirs…
Lors d’échange sur le sujet avec des médecins et autre thérapeutes, je constate que ce protocole est loin de faire l’unanimité et nombreux sont ceux qui ne sont pas convaincu. Bien sûr, l’avis d’un thérapeute est le niveau de preuve scientifique le plus faible qui soit, mais actuellement, c’est tout ce dont on dispose.
En conclusion, je dirais qu’on est face à un protocole qui envisage une prise en charge à court/moyen terme du patient et non pas strictement en phase aigüe. On joue un peu sur les mots, mais cette notion me semble importante. Je dirais que le protocole RICE n’est pas remplacé, mais est complété par des informations qui auront un intérêt au delà des premières 24h qui suivent la lésion.
Que faut-il donc faire ?
Une règle inéluctable est à respecter : S’ADAPTER à la situation. Il n’y a pas de formule ou de recette toute faite. On analyse la situation et on agit en conséquence. Le protocole RICE reste à mon sens d’actualité et il faudra être particulièrement prudent sur l’application du froid en respectant des modalités d’application raisonnables et se tenir informé des avancées scientifiques sur l’efficacité de la cryothérapie.
Pour ma part, je trouve que PEACE & LOVE n’apporte rien de bien nouveau. Il faut lui reconnaitre un intérêt dans la prise en charge à moyen terme. Mais dans le cadre d’une prise en charge aigue, son intérêt est limité, je dirais même que compliquer la situation n’est pas dans l’intérêt des praticiens qui ne sont plus focalisé sur les premiers gestes qui eux restent essentiels.
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